Déjà 20 ans que Google a commencé son aventure. De petit moteur de recherche prometteur issu de travaux universitaires, à micro-entreprise ambitieuse prête à en découdre avec les dizaines de moteurs de recherche en vogue à l’époque, et finalement multinationale qui dirige maintenant la majeure partie de la circulation Web. Son histoire est à l’image de ce qu’est devenu Internet aujourd’hui.
J’ai eu l’occasion de participer au dossier spécial de La Presse+ sur les 20 ans de Google en accordant une entrevue au journaliste Jean-François Codère. De la longue conversation que nous avons eue, JFC retient, entre autres, cette citation : « Comme utilisateur, j’adore Google, ma vie me paraît facilitée (…) mais comme observateur du Web, depuis longtemps, j’ai des réserves. »
Le Web, Internet, le numérique ont beaucoup changé depuis 20 ans. Ils ont beaucoup changé le monde aussi. En fait, ils l’ont refaçonné.
Le rôle et la nature des moteurs de recherche ont considérablement évolué depuis le début d’Internet. À cette époque, leur rôle était de rendre visible ce qui ne l’était pas; il devait rendre intelligible ce qui s’apparentait à un vaste magma de documents Web.
À l’instar d’une bibliothèque qui classe les livres et qui nous donne les outils pour les (re)trouver, les moteurs de recherche, les guides et les annuaires Web guidaient les internautes pour qu’ils développent leurs intérêts et trouvent les infos liées à ceux-ci. Mieux même, ils éduquaient toute une génération d’internautes à se retrouver dans un monde entièrement numérique; ils faisaient œuvre de pivot culturel.
Google dès son arrivée ne guidait déjà plus; lui, il trouvait. Avec son algorithme différent, il rendait plus simple, plus précise et plus pertinente la simple recherche par mots-clés et dévaluait l’apport de la navigation par annuaires et guides. Pour reprendre l’image de la bibliothèque, c’est comme si le préposé vous offrait un livre ouvert à la bonne page qui contient l’information souhaitée, sans avoir à vous rendre parmi les rayons de livres ni même consulter le reste du livre. Google a changé les choses. Il a changé le Web.
Depuis, Google a avalé le Web, l’humain est devenu un document comme les autres et les objets connectés fournissent toujours plus d’informations pour baliser notre réel. Google ne guide pas plus, mais il trouve toujours plus. Aujourd’hui, il donne la réponse sans même vous donner la peine d’aller consulter un site Web. Tu cherches une recette : tu tapes « spaghetti aux crevettes » et Google t’affichera une recette au-dessus de tous les autres résultats; plus besoin d’aller voir Ricardo ou di Stasio si Google te donne l’info complète. Tu cherches la bio d’un personnage célèbre et tout-à-coup une mise en page adaptée à une bio apparaît devançant tous les autres résultats venant du Web. Il te répond comme te répondrait un assistant qui travaille pour toi. En fait, c’est exactement ça: le moteur de recherche est mort, vive l’assistant!
Google vise dorénavant à te donner LA réponse; LA réponse unique que tu cherches; les autres résultats (le Web) sont là pour compléter. Le Web est de plus en plus optionnel. Google conduit de moins en moins, vers le Web. Le Web est la nourriture donnée à Google pour te donner LA bonne réponse. Google indexe, fouille, digère et il t’offre ce qu’il en a compris pour toi, en fonction de ce qu’il a compris de ce que tu cherchais, en fonction de ce qu’il comprend de toi. Google ne fait pas qu’avaler le Web, il le masque aussi de plus en plus.
Et c’est là que je suis inquiet. Je suis un utilisateur assidu du Google. C’est mon signet universel; c’est mon dictionnaire unique; c’est la porte d’entrée de mes divertissements;. Google, c’est plusieurs fois par jour, sur l’ordi comme sur le téléphone. Même pour mes News, dont il me prépare un bouquet de l’essentiel de l’actualité, chaque jour, à ne pas manquer. Bientôt, il prendra même mes rendez-vous. Google sera mon majordome indispensable. Je passe rarement une heure sans que mon clavier ne le sollicite. Je l’aime, il m’est indispensable, et je l’utilise abondamment..
Mais je reste méfiant de ce moteur qui n’en est plus un. J’ai des craintes face à l’avenir que nous prépare un assistant qui a le monopole de la recherche Web; un assistant qui a le monopole de la vérité, de SA vérité qu’il veut bien me fabriquer. Je suis méfiant face à un outil aussi indispensable (partout sur la planète) qui a construit son succès sur un algorithme qui calcule la pertinence en fonction de critères de popularité. Je reste méfiant de voir que l’accès à ce vaste réservoir d’information et de connaissance qu’est le web, est filtré par un algorithme complètement verrouillé, sur lequel aucune autorité légale, scientifique ou politique n’a droit de regard et qui ne répond en bout de ligne qu’à de simples impératifs commerciaux (et à un conseil d’administration dont la première tâche sera de défendre la valeur de l’actif des actionnaires). Je reste méfiant face à cet outil dont le modèle d’affaires est construit sur le principe qu’annonceurs et experts marketing pourront jouer à cache-cache avec l’algorithme pour augmenter la visibilité de certains contenus indexés au détriment d’autres contenus moins bien soutenus financièrement. Notre monde, nos choix, les informations, la connaissance sont chaque jour plus dépendant d’un outil totalement privé, fermé, sans contrôle ni régulation externe. Oui, cela me rend vraiment très méfiant.
J’ai plein de réserves face à Google, mais j’aime Google et je l’utiliserai longtemps encore. Du moins, jusqu’au jour où un index indépendant verra enfin le jour. Mais ce n’est vraiment pas demain la veille.
Bon 20e à mon moteur de recherche mon assistant préféré!
Photo par Google
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