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Le vieillissement, un défi numérique pour le Québec

Le printemps dernier, la ministre responsable des ainés et le Secrétariat aux ainés ont initié une consultation publique pour élaborer le plan d’action: “Vieillir et vivre ensemble”. Ce document stratégique établira la feuille de route gouvernementale pour les cinq prochaines années, visant à relever les défis du vieillissement de la population.

En 2021, 20,5 % de la population québécoise avait plus de 65 ans. Ce pourcentage est prévu pour atteindre  25 % d’ici à 2030, et 28% en 2060. représentant alors plus de 2,7 millions de personnes âgées.

Québec s’inspire d’un concept de “vieillissement actif”, cherchant à créer un environnement propice à une vie de qualité durant la vieillesse, notamment en matière de santé, de sécurité et de participation sociale.

Les nouvelles générations de personnes âgées sont plus actives, plus en forme, plus scolarisées, plus curieuses et plus tournées vers l’avenir que les générations de leurs parents ou de leurs grands-parents. Aujourd’hui et encore plus demain, nous aurons des seniors qui voudront continuer à vivre, bouger, s’éclater, s’amuser, consommer, voyager. Des ainés qui pèseront aussi nettement plus lourd dans le PNB, avec la part toujours plus grande qu’aura la Silver Economy dans notre économie. 

À la lecture du document de réflexion proposé par le Secrétariat aux ainés, et de plusieurs mémoires présentées dans le cadre de la consultation, je crains que la question du numérique soit négligée.

Nous sommes à une époque de profonds changements induits par le numérique. Les supports traditionnels d’achats, de vie sociale, de gestion personnelle, d’éducation, d’information, de consommation culturelle, etc., sont bousculés par de nouveaux outils et de nouvelles pratiques. Voilà 30 ans, le taux de pénétration des ordinateurs et autres étaient relativement modestes dans les foyers québécois, et encore plus parmi les personnes de 65 ans et plus. Suite à la généralisation de l’utilisation d’Internet, à la popularisation des ordinateurs, à l’essor des outils mobiles, cette pénétration est maintenant maximale. 

L’émergence des technologies d’IA générative indique que le rythme du changement ne fera que s’accélérer. Les mêmes supports d’achats, de vie sociale, de gestion personnelle, d’éducation, d’information, de consommation culturelle qui ont été complètement revus subiront de nouvelles transformations majeures.

Le numérique a le potentiel pour avoir un impact positif majeur dans la vie des personnes âgées. Il peut contribuer à faciliter leur gestion financière, leur autonomie intellectuelle, leur vie sociale. La pandémie a clairement montré que le numérique pouvait contribuer à réduire l’isolement et le désengagement social des personnes âgées. Mais le numérique peut être source de stress, d’incompréhension, d’exclusions sociales majeures

Autant le numérique peut créer des opportunités de participation sociale, autant son développement pour creuser des fossés énormes dans cette participation. Le Plan d’action devra avoir une vision large du numérique afin de s’assurer que les aspects positifs du numérique soient mobilisés et d’en réduire les impacts négatifs.

Pour alimenter la réflexion, je soumets au secrétariat et à la ministre quelques-uns des chantiers que je considère parmi les plus importants qui devraient faire partie de leur plan d’action.

1. Chantier sur l’accessibilité et l’inclusion sociale

Ce chantier vise à améliorer l’accessibilité des personnes âgées au numérique par l’amélioration de leur compétence de littératie numérique, d’accessibilité des technologies et de connectivité. Par exemple, par des formations pour les seniors pour apprendre à utiliser les technologies de manière efficace; par des programmes pour faciliter l’accès à l’acquisition d’outils adaptés aux besoins des personnes âgées vulnérables économiquement (reconditionnement d’appareils usagés); par l’amélioration l’accès et la disponibilité de la connectivité auprès des ainées.

Objectif : Réduire la fracture numérique en facilitant l’accès des seniors aux technologies de l’information et de la communication.

  • Formations : Mise en place de formations destinées aux seniors pour accroître leur littératie numérique.
  • Accessibilité web : S’assurer que les sites et services en ligne essentiels au bien-être des seniors soient connus par les seniors
  • Connectivité : Améliorer la qualité et la disponibilité de la connectivité Internet pour les seniors.
  • Technologies : Favoriser l’accès à du matériel technologique qui correspond aux besoins des seniors ainsi qu’à leur situation économique
  • Technologies adaptatives : Soutenir les technologies adaptées aux besoins des seniors.
  • Réseaux sociaux : Promouvoir l’utilisation des plateformes numériques pour les connecter avec leurs amis, leurs parents et les groupes d’intérêts.
  • Isolement social : changer la perception de certains groupes de seniors pour illustrer comment la technologie peut combattre l’isolement social.

Défis:

  • Résistance au changement parmi les seniors.
  • Coût élevé de la technologie et de la connectivité.
  • Hétérogénéité des compétences numériques parmi les seniors.
  • Rejoindre les personnes les plus démunies technologiquement.

2. Chantier sur l’expérience numérique

Ce chantier vise à enrichir l’expérience numérique des seniors favorisant la production de contenu numérique produit par eux. Cela peut inclure la promotion de la participation des seniors sur les supports numériques. Le numérique est un facteur de stress pour une population vieillissante, il doit aussi devenir un vecteur de plaisir. Encourager la présence des seniors sur les plateformes de numériques.

Objectif : Rendre les seniors plus visibles parmi les producteurs de contenu numériques. Favoriser la création de groupes d’intérêt, d’échange et de partage sur les plateformes numériques. Faire des seniors des acteurs plus actifs et plus visibles sur les plateformes de contenu.

  • Production de contenu : sur les plateformes numériques: Encourager la création de contenu pertinent pour les seniors.
  • Faire connaitre : promouvoir les contenus par des seniors auprès des auditoires de seniors.
  • Engagement: Encourager l’engagement, la participation et le réseautage découlant de ces contenus
  • Médias sociaux : Promouvoir la consultation et la participation des seniors dans les médias numériques existants.

Défis:

  • Selon la règle du 1% (1% d’une population devient contributeurs réguliers,), 9% contributeurs sporadiques et 90% des participants passifs), on peut s’attendre à repose cette initiative sur une partie limitée de la population.

3. Chantier de soutien actif

Ce chantier vise à aider les personnes âgées à utiliser correctement les services gouvernementaux et privés en fournissant un soutien actif pour les aider à naviguer dans le monde numérique.

Objectif : Fournir une assistance immédiate aux seniors pour naviguer dans les services en ligne, qu’ils soient gouvernementaux ou privés.

  • Navigation assistée : Offrir un support pour aider les seniors à utiliser efficacement les services en ligne.
  • Assistance personnalisée : Développer des services d’assistance en temps réel, tels que des agents de chat, robots conversationnels.
  • Proches aidants numériques : mettre en place un réseau de professionnels habilités (compétences et légalement) à assister les seniors dans leurs transactions numériques (services gouvernementaux et services privés)

Défis:

  • Manque de ressources humaines pour un soutien individualisé
  • Fiabilité et disponibilité du soutien en ligne
  • Coût des services personnalisés pour les entreprises.
  • Non-rentabilité des supports. Principe d’équité et d’inclusion vs principe de rentabilité

4. Chantier de sécurité

Ce chantier vise à accroître la sécurité des seniors en ligne en les protégeant des fraudeurs et autres menaces en ligne. Les personnes moins autonomes numériquement peuvent être des proies plus faciles pour les fraudeurs. Cela peut inclure la mise en place d’événements, de campagne de publicité et de formations pour les seniors sur les bonnes pratiques en matière de sécurité en ligne. Ainsi que la mise en place de mesures de protection pour les aider à naviguer en toute sécurité sur internet.

Objectif : Renforcer la protection des seniors contre les menaces et les fraudes en ligne.

  • Formations et campagnes sur la prévention contre les fraudes : Élaborer des programmes éducatifs pour informer les seniors sur les meilleures pratiques en matière de sécurité en ligne.
  • Formations et campagnes sur la sécurité informatique : Protéger les seniors des fraudeurs et autres menaces en ligne
  • Vérifications régulières : Mettre en place un système de vérification de la sécurité des ordinateurs disponibles publiquement par les seniors.

Défis:

  • Sensibilisation insuffisante aux risques de sécurité en ligne
  • Complexité des outils et des processus de sécurité
  • Évolution constante des fraudes

5. Chantier sur la santé numérique

Ce chantier vise à développer et à promouvoir l’utilisation d’outils technologiques pour aider les seniors à suivre leur santé de manière simple et rapide, y compris la pharmacie et les assurances. Cela peut inclure la mise en place de programmes de formation pour les seniors sur les bonnes pratiques en matière de santé numérique. Ainsi que la promotion de l’utilisation de technologies telles que les applications de suivi de la santé.

Objectif : Utiliser la technologie pour permettre aux seniors mieux gérer leur santé.

  • Outils de santé : Soutenir la création et la promotion des applications et des dispositifs de suivi de la santé spécifiquement destinés aux seniors.
  • Formation en santé numérique : Établir des programmes pour former les seniors à utiliser ces outils de manière efficace.
  • Données : Soutenir la circulation sécuritaire des données de santé
  • Interopérabilité des systèmes de santé : Assurer la compatibilité entre différents systèmes de santé pour une meilleure coordination des soins.

Défis:

  • Confidentialité et sécurité des données de santé
  • Compatibilité des systèmes de santé existants avec les nouvelles technologies
  • Complexité de l’adoption de nouvelles pratiques par les professionnels de la santé
  • Inclure les seniors dans la conception et le test des produits pour garantir une conception centrée sur les utilisateurs.

6. Chantier sur les activités gouvernementales

Ce chantier vise à promouvoir des règles et des normes pour garantir que la communication numérique du gouvernement soit bien comprise par les personnes âgées et que la numérisation ne devienne jamais un frein pour l’obtention de services. Par exemple, en veillant à ce que les services gouvernementaux accessibles aux personnes ayant des besoins spécifiques et en offrant des options de communication en dehors du monde numérique pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec les technologies. L’administration publique doit avoir pour principe que le numérique est une option (fortement encouragée), mais ne doit jamais devenir une injonction.

Objectif : Garantir que les services et communications gouvernementales sont conçus de manière à être facilement accessibles et compréhensibles pour les seniors.

  • Normes de communication : Établir des règles et des normes pour la communication numérique du gouvernement.
  • Options non numériques : Offrir des alternatives pour ceux qui ne sont pas à l’aise avec les technologies ou qui ne peuvent profiter d’accompagnement adéquat pour le suivi numérique de leurs activités en ligne.
  • Rétroaction continue : Mettre en place des mécanismes pour recueillir des commentaires sur l’expérience utilisateur des seniors, ainsi que des tests utilisateurs réguliers.

Défis:

  • Assurer l’évolution des plateformes numériques sans désorienter les utilisateurs seniors
  • Équilibre entre numérisation et maintien de services hors ligne
  • Communication efficace des changements et des mises à jour

7. Chantier sur l’éthique numérique

Ce chantier est fondamental pour établir la confiance et l’intégrité dans la manipulation des données des seniors. Il cherche à créer des directives éthiques qui régissent la manière dont ces données peuvent être collectées, stockées et utilisées, tout en mettant un accent particulier sur des sujets délicats comme la santé et le bien-être. Par exemple, il pourrait s’agir de garantir que les données de santé ne sont pas utilisées à des fins commerciales non éthiques.

Objectif : Établir des principes éthiques pour la collecte et l’utilisation des données des seniors.

  • Directives éthiques : Création de directives sur la manière dont les données des seniors peuvent être collectées et utilisées, en particulier en ce qui concerne la santé.
  • Prospection: Explorer les impacts de l’adoption des nouveaux outils technologiques qui intégreraient l’intelligence artificielle et agents conversationnels auprès des personnes âgées.

8. Chantier sur l’entrepreneuriat numérique pour seniors

Ce chantier aspire à être un catalyseur pour le développement d’un écosystème d’entreprises technologiques qui répondent spécifiquement aux besoins des seniors. En misant sur la croissance de la silver economy, le chantier vise à encourager l’innovation et l’entrepreneuriat centrés sur les seniors. Cela inclut le soutien aux start-ups, l’adaptation de technologies existantes et le développement de solutions innovantes, allant du bien-être à la santé en passant par la mobilité et la connectivité. Ce faisant, le chantier cherche à transformer les défis associés au vieillissement en opportunités économiques et sociales.

Objectif : Créer un écosystème d’entreprises technologiques dédiées aux besoins des seniors, en capitalisant sur la silver economy.

  • Cartographie de l’écosystème existant : Identifier les acteurs clés, les opportunités et les déficits dans le secteur des technologies dédiées aux seniors.
  • Incubateurs et Accélérateurs : Créer ou soutenir des incubateurs et des accélérateurs spécialisés pour aider les startups technologiques axées sur les solutions pour seniors.
  • Financement ciblé : Mettre en place des fonds de capital-risque ou des subventions spécifiquement dédiées à ces entreprises.
  • Réseau de mentors : Créer un réseau de mentors ayant de l’expertise dans le domaine de la technologie et du vieillissement, pour guider ces startups.
  • Synergies Intersectorielles : Encourager les collaborations entre ces entreprises technologiques, les institutions de santé, les centres de recherche et les organismes publics.
  • Normalisation et Certification : Établir des normes de qualité et des certifications pour les produits et services destinés aux seniors, pour assurer leur sécurité et leur efficacité.
  • Éducation et Sensibilisation : Élaborer des campagnes pour sensibiliser à la fois les entrepreneurs et les seniors sur les opportunités et les solutions disponibles.

Défis :

  • Adéquation produit-marché : S’assurer que les solutions développées répondent effectivement aux besoins des seniors et ne sont pas simplement des gadgets technologiques.
  • Résistance aux changements : Les seniors peuvent être réticents à adopter de nouvelles technologies, même si celles-ci sont conçues pour leur bien-être.
  • Équilibre commercial : La nécessité de générer des profits peut parfois entrer en conflit avec l’objectif d’accessibilité et d’inclusivité.
  • Questions éthiques : La collecte et l’utilisation de données sensibles, surtout en matière de santé, posent des défis éthiques importants.
  • Complexité réglementaire : La mise en place de normes et de certifications peut être un processus long et complexe, nécessitant l’adhésion de multiples parties prenantes.

(PS : La période de consultation publique est désormais close. Je n’ai pris connaissance de ce processus qu’après sa conclusion. J’espère toutefois que mes observations parviendront aux décideurs concernés par la magie des réseaux numériques et qu’elles pourront être prises en compte Je ne représente aucun groupe professionnel. Mes commentaires émanent simplement de ma longue expérience dans le numérique ; d’un vieux routier qui fait aussi maintenant partie des seniors et qui se sent très concerné par l’orientation de ce plan d’action.)

Crédit photo : Tiago Muraro sur Unsplash

25 ans !

25 ans déjà!

Sapré Covid! Avec le confinement, j’allais oublier de souligner qu’on célébrait cette année les 25 ans de la création de la Toile du Québec. Elle est morte depuis déjà plusieurs années et elle a malheureusement été famélique trop longtemps avant sa disparition. Mais, durant ses premières années, cette Toile aura permis à des millions de personnes au Québec de faire leurs premiers pas (et de nombreux autres) sur un Internet naissant.

Avec cet anniversaire, c’est aussi pour moi 25 ans entièrement dédié au numérique. Du modem 14 400 bps à la haute vitesse mur-à-mur, il en est passé des gigaoctets sous les ponts.

Mais papa, c’était quoi La Toile?

Pour la génération Z qui n’était pas née en 1995, qui se demande c’était quoi La Toile ? C’était un répertoire des sites Internet qui existaient au Québec.

Remontons en 1995. Internet n’a alors que quelques années de vie. Il est réservé principalement aux milieux académiques et utilise des protocoles pointus avec des interfaces pas du tout friendly. Tout à coup apparut le Web, avec ses navigateurs et ses hyperliens. Dès lors quelques entreprises, organisations et personnes se mettent au HTML pour concocter les premiers sites Web.

La Toile 1996

En 1995, au Québec on en dénombrait quelques centaines, puis rapidement quelques milliers. Les répertoires de sites sont multipliés à travers le monde afin de les recenser et faciliter leur découverte. Les moteurs de recherche (par exemple AltaVista) sont venus (un peu) plus tard. Les premiers pas sur le Web, de tout un chacun, se faisaient irrémédiablement au moyen de ces répertoires. La Toile du Québec a connu dès son lancement une croissance exponentielle, dans son achalandage comme dans la profondeur de son arborescence. Trois ans après son lancement, la consultation se chiffrait déjà en million d’usagers uniques par mois.

La Toile a été durant quelques années la porte d’entrée principale du Web québécois ainsi qu’un révélateur de la créativité de l’industrie numérique naissante. A suivi la création (ou l’acquisition) de sites complémentaires à La Toile avec toujours ces mêmes objectifs : mettre en valeur les multiples facettes du Web, guider les internautes dans leur recherche et les initier au Web. Nous avons même produit les premiers médias d’information de qualité dont les sources étaient exclusivement numériques. Suivront plus tard des services plus spécialisés (ex.: site d’emplois, rencontres, etc.).

Et, bien sûr, l’aventure de La Toile est inséparable de l’entreprise Netgraphe à laquelle elle a donné vie en 1996 qui devint en 1999 la première entreprise full play internet à faire son entrée en bourse au Canada.

Voilà donc pour ce petit rafraîchissement historique.

(Chrystian, ce soir, je trinque à ta santé et à cette folle aventure.)

Aplatir la courbe

J’aime bien le Dr Arruda lorsqu’il fait ses points de presse quotidiens. Il est à la fois apaisant, vulgarisateur et drôle. Une pandémie est une chose complexe; le bon Dr Arruda tempère les inquiétudes. Sa suggestion, voilà quelques semaines, de profiter du temps libre qu’offre le confinement  à plusieurs d’entre nous pour faire ce qu’on n’a jamais le temps de faire (et que, pour lui, ce sera le bon temps de faire des tartelettes portugaises), représente bien l’image chaleureuse et bienveillante qu’il dégage. Comme la grande majorité de la population du Qc, je suis un fan.

Ce qui ne l’empêche pas d’en échapper. Rarement, mais oui, il en échappe. Comme, par exemple hier, lorsqu’il a parlé des nerds dans leur sous-sol qui jouent à faire des projections (pour la citation complète, voir la transcription de la conférence de presse).

Le Québec a passé les 50 dernières années à accroitre considérablement la compétence mathématique de la population, la province a vu durant cette période une explosion de sa diplomation universitaire de 1er, 2e et 3e cycle. Aujourd’hui, une large partie de la population est équipée d’ordinateurs puissants, et nous sommes à ce moment précis où on enseigne partout que tout passe par l’analyse des données. Doit-on être surpris que nerds (et moins nerds) concoctent des belles courbes logarithmiques pour apaiser leur angoisse ? D’autant qu’avec le confinement, plusieurs ont enfin du temps (et pas nécessairement de l’intérêt pour la gastronomie portugaise). C’est plutôt un beau trait de société que voilà. À choisir, je préfère trop de citoyens qui font des projections logarithmiques que trop de citoyens qui alimentent leur imaginaire passivement devant le téléviseur à attendre que la tempête passe.

Non seulement ces nerds sont un bon signe pour notre société, mais ils devraient être encouragés. Pour l’instant, les données publiques sur la situation sanitaire sont difficiles d’accès. Dans d’autres régions du monde, les jeux de données historiques sur l’évolution sont mis en jour constamment. Ici, la transparence et l’ouverture des données ne sont pas encore à l’ordre du jour. Journalistes et nerds se débrouillent comme ils peuvent pour les recueillir, s’ils ne veulent pas se limiter au seul décompte morbide des morts, des infectés et des hospitalisés.

Deux équipes

Devant le combat sanitaire que nous menons, il y a deux équipes. Il y a d’abord cette grande équipe des professionnels de la santé, ceux et celles qui mènent une lutte quotidienne épique pour contrer la maladie. Et il y a l’autre équipe, nous, la population en générale, dont l’ultime travail est d’aplatir la courbe.

La réussite du combat que nous menons tous durant cette pandémie passe par la qualité et la promptitude des soins, mais aussi par notre capacité collective d’écraser cette courbe infernale. Le bon Dr Arruda l’a bien répété souvent : il faut aplatir la courbe.

Mais cette courbe qu’est-ce que c’est? C’est une courbe statistique. C’est la courbe qui montre que l’addition de tous nos gestes d’isolement et de ralentissement économique aura permis un ralentissement sensible de la propagation du virus. Pendant que les équipes médicales s’acharnent sur la maladie et le virus, la population est conviée à déjouer une courbe statistique.

Nos seules armes: notre patience, notre détermination, notre engagement. L’information complète et de qualité est parmi les meilleurs outils pour garder nos armes bien affûtées. Une information mal ficelée peut facilement générer plus d’angoisse que le contraire. N’offrir qu’une comptabilité quotidienne des morts et des infections déforme l’image du combat et minimise la responsabilité de cette grande équipe qui doit collectivement s’assoir sur cette fichue courbe.

Si le combat de la Team Population est de combattre la courbe, il faut la briefer, expliquer, donner les projections, entrer dans les détails, faire des comptes rendus, faire circuler, et répéter.

Les nerds dans les sous-sols sont d’excellents alliés dans ce combat. Tout comme le serait l’accroissement de la transparence de la partie du gouvernement et de la direction de la santé publique. Nous sommes rendus là.

Peut-être verra-t-on bientôt des points de presse techniques organisés pour alimenter en détails statistiques et en jeux de données historiques officiels les plus nerds d’entre nous de la Team Population ainsi que les médias qui comptent (ne l’oublions pas) de plus en plus de spécialistes dans l’analyse des datas. En attendant ce jour, voici une sélection de liens pour aider à comprendre en chiffres, en stats et en courbes logarithmiques comment se propage la COVID-19. Une sélection de sites de très bonne qualité qui devraient vous intéresser même si vous n’êtes pas nerds.

Pour comprendre « la courbe »

  • Coronavirus: The Hammer and the Dance
    Petit cours rapide en épidémiologie, où est bien expliqué comment se propage le virus et comment agissent les différentes mesures pour lui faire face. Depuis sa parution, l’article a été traduit en plus de trente langues, dont le français.

Quelques analyses

  • Stéphane Guidoin (un nerd dans son sous-sol) présente quelques fois par semaines des analyses statistiques de la situation au Québec, qu’il commente et compare à la situation internationale. Ses analyses sont présentées seulement sur Facebook, il vous faut donc un compte pour y accéder. On peut lire sur son blogue personnel: COVID19 – Quelle stratégie pour le Québec

Des tableaux de bord pour suivre l’évolution en temps réel de la pandémie.

  • Worldometers – Référence internationale en matière de suivis statistiques. L’équipe a ouvert une section spéciale dédiée au Coronavirus. Statistique mise à jour plusieurs fois dans la journée.
  • Our World In data – Autre référence internationale en matière de données. Le site est associé à l’université d’Oxford. Une section spéciale dédié au Coronavirus. Analyse en temps réel.

Au Québec

Avenir des médias – bilan jour 1

La Commission de la culture et l’éducation se penche cette semaine sur l’avenir des médias. Les intervenants viennent à tour de rôle présenter leur mémoire. La question est importante; la presse se meurt au Québec comme elle est ébranlée partout à travers le monde. Et la petitesse de marché rend encore plus ardue la survie des entreprises de presse, voire la rend impossible. Ces travaux de l’Assemblée nationale cherchent des pistes de solutions à la situation urgente dans laquelle nous nous trouvons, avant que trop de joueurs ne soient disparus. Je me permets quelques commentaires en marge des mémoires présentés lors de cette première journée.

Il a été abondamment question de la disparition soudaine des revenus publicitaires au profit des grands joueurs du Web qui accaparent une part toujours plus qu’importante de ces revenus. Je reviens sur deux points récurrents entendus régulièrement tout au long des échanges (et qui seront sans aucun doute répétés tout au long de la semaine).

Entendu 1 : Faudrait que le Gouvernement donne l’exemple en réduisant ses publicités dans les médias sociaux et accroisse ses dépenses publicitaires dans les médias traditionnels pour les soutenir.

Que NON!

Pour leurs placements publicitaires, j’espère que les planificateurs médias du gouvernement continueront à faire comme ils doivent faire: c’est-à-dire aller au plus efficace, en fonction des objectifs de leur campagne. Ils seraient dommage que pour sauver une industrie (aussi importante soi-elle), l’ensemble des publicités gouvernementales deviennent moins efficace et que leurs campagnes en souffrent. Il n’y a pas de gain à ne pas atteindre ses objectifs.

Établir des seuils obligatoires de publicité gouvernementale en faveur des médias traditionnels, juste pour les aider à faire leur frais, ne serait qu’une autre façon de verser une subvention. Dans cette optique, il serait nettement plus simple et efficace de donner cet argent directement aux médias pour ce que c’est (une subvention) et de réduire les frais inutiles de production et diffusion publicitaire si cette opération n’est pas l’objectif véritable souhaité. Il n’y a pas de mal à soutenir une industrie en crise. Il n’est pas nécessaire de faire semblant de ne pas la subventionner alors que ce n’est que cela qu’on cherche à faire.

Le marché publicitaire n’a pas fini de se tarir. Radio et télé perdront d’importantes parts de marchés avant longtemps, tout comme la presse écrite a vu disparaître ses revenus. Il serait important que toutes mesures gouvernementales soient orientées à consolider de nouvelles formes de revenus plutôt que de soutenir l’illusion d’un marché publicitaire qui ne serait soutenu qu’artificiellement.


Entendu 2 : Faudrait taxer les GAFA et en faire une source de financement long terme pour les médias.

Que NON!

Une « taxe sur les services numériques » (dite taxe GAFA), à l’image de celle proposée par le gouvernement français, est régulièrement donnée en exemple comme source de revenus qui pourrait soutenir les médias. C’est un non-sens. Une telle taxe vise à réparer un régime fiscal brisé qui est incapable d’imposer les multinationales du numérique à la hauteur de leur activité économique, à l’instar des entreprises ayant pignon sur rue à l’intérieur des frontières du pays. Cette taxe n’a donc aucune prétention à compenser le secteur de l’information pour ses pertes ni aucun autre secteur économique en particulier. Une taxe GAFA est une mesure pour imposer des entreprises qui ne peuvent actuellement être imposées autrement. On fait donc fausse route d’aborder cette question dans une discussion sur l’avenir des médias. Une telle mesure devrait rapidement être étudiée tant au provincial qu’au fédéral, mais comme mesure d’équité fiscale envers l’ensemble des entreprises canadiennes et québécoises (pas comme soutien à un secteur particulier).

C’est plutôt du côté du droit d’auteur que les médias et la Commission devraient s’attarder. En Europe, cette question fait l’objet de projets. Déjà sur YouTube, les droits d’auteur sont reconnus et compensés sous certaines conditions. Il y a des discussions à entamer avec les gros joueurs pour que certains producteurs professionnels soient compensés pour le trafic qu’ils leur apportent et les revenus qu’ils aident à générer grâce à leur travail. Non seulement y a-t-il du contenu qui circule librement sans compensation aucune, mais les algorithmes développés des médias sociaux tout comme ceux des moteurs de recherche intègrent des données issues de médias pour calibrer les indices d’actualité de certains sujets. Le travail de presse est largement utilisé tant en surface qu’en profondeur par les géants du Web. Les médias sociaux et les moteurs de recherche sont largement tributaires du travail de la presse. Il est impératif que leurs droits d’auteur soient reconnus et compensés. La mise à jour des modèles d’affaire des médias traditionnels passe par la révision complète du respect de ces droits dans un monde numérique.

Bien qu’il s’agisse d’un élément fondamental et hautement structurant, une solution n’est pas de l’ordre du court terme. Rien pour répondre aux besoins urgents de nos médias. Mais on ne pourra pas éternellement mettre cette question sous le tapis. Il faudra même le faire avant que les géants du Web ne développent leurs propres unités journalistiques (qui ne répondra jamais aux objectifs d’une presse locale).

Le droit d’auteur n’est pas la seule source de revenus qui devrait être envisagée provenant des grands joueurs du numérique. Il y a tout un nouveau système de redevances à imaginer autour de l’exploitation des vastes bases de données personnelles. Les lois actuelles ne font qu’encadrer leurs usages et leur sécurité, mais la création de valeurs, générée par ces grands ensembles de données, devrait faire l’objet d’une attention fiscale toute particulière. De la même manière que des redevances sont versées pour l’exploitation et l’utilisation de l’eau et de produits miniers, on doit explorer l’idée de redevance sur les données personnelles.

En ce qui me concerne, ma conclusion de cette première journée de débats, c’est qu‘une Commission sur les aspects fiscaux des géants des services du numérique serait tout aussi nécessaire et urgente que celle sur l’avenir des médias.

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Éric Caire, l’infonuagique et la catégorisation

Précisions très importantes apportées par Éric Caire, ministre délégué à la transformation numérique du gouvernement du Québec, à propos du projet de transférer l’hébergement des activités du gouvernement vers des solutions infonuagiques. Ces précisions ont été faites lors de une entrevue accordée à Bruno Guglielminetti, dans le cadre de son podcast hebdomadaire du 7 juin dernier.

On se rappellera qu’en février lors de l’annonce du projet gouvernemental, bien que l’intention d’adopter l’architecture infonuagique fut reçue très positivement, de nombreuses personnes ont soulevé des questions sur la capacité du gouvernement à maintenir sa souveraineté exclusive sur le les données hébergées dans les environnements infonuagiques publiques, lorsque ceux-ci sont opérés par des fournisseurs de service américains. Les critiques faisaient remarquer que ces fournisseurs américains sont soumis à la législation américaine, même lorsqu’ils opèrent sur le territoire canadien.

Dans un texte paru dans le journal Le Devoir, Pierre Trudel écrivait:    

« Bien que le ministre ait manifesté son intention de faire en sorte que les données demeurent physiquement sur le territoire québécois, il n’a pas exclu que les services d’infonuagique puissent être assurés par des entreprises assujetties aux lois américaines. Or, il se trouve que le droit américain accorde aux autorités de ce pays un droit étendu d’accéder aux données où qu’elles se trouvent, et ce, dès lors qu’elles sont entre les mains d’une firme assujettie aux lois américaines. »

Malheureusement, le ministre délégué n’a jamais répondu publiquement à ces critiques en décrivant comment il s’assurerait qu’aucun gouvernement autre que le sien ne pourrait accéder aux informations stockées dans le cloud public. Sauf pour dire qu’il n’y avait pas de danger à ce niveau. Ce qui n’est pas une réponse rassurante.

Ainsi donc, pour la première fois depuis l’annonce de février, le ministre donne donc enfin les précisions tant attendues:

  1.  les données seront catégorisées en fonction de leur degré de sensibilité, afin de s’assurer que les données hautement sensibles soient conservés dans un environnement infonuagique privé (opéré par le gouvernement du Québec);
  2. seules les données moins sensibles seront hébergées dans un environnement public; 
  3. l’ensemble des données hébergées dans les environnements infonuagiques seront cryptées pour les rendre inutilisables pour n’importe quel intru.    

Voici la transcription de la portion de l’entrevue où le ministre délégué revient sur la question de l’infonuagique:

Question de B. Guglielminetti : « Une question qui est délicate évidemment quand on parle de transformer numériquement quelque chose encore plus quand on parle du gouvernement, c’est tout le domaine des données privées, l’information dont vous êtes le gardien dans différents ministères. Comment vous vous assurez que ces données-là vont demeurer en sécurité, vont même même demeurer au Québec parce que ce sera nos lois au Québec, les lois du Canada, qui auront juridiction là-dessus, plutôt que les faire héberger ailleurs dans le monde ou d’autres lois pourraient permettre à d’autres pays d’y avoir accès sans qu’on puisse rien dire. »

Réponse de E. Caire : « Je pense que d’abord il n’est pas inutile de dire que l’infonuagique amène des possibilités qui sont extraordinaires. Donc, je pense que c’est un virage que le gouvernement prend, qui a été pris par plusieurs autres administrations publiques, qui était pris par des sociétés privées; donc je pense qu’on est vraiment dans la transformation numérique et dans le gouvernement du 21e siècle. Maintenant, une chose que l’on doit faire et qui n’a jamais été faite, c’est de catégoriser nos données. Parce qu’on entend beaucoup « ah! nos données privées vont se ramasser à des compagnies étrangères ». Un instant! un instant! Le gouvernement du Québec, on n’est pas non plus des inconséquents. »

« Et ça, le gouvernement du Québec ne l’a jamais fait. Le gouvernement fédéral l’a fait et ça, c’est très intéressant. En catégorisant nos données, ça nous permet de nous dire : quelles sont les données qui sont très sensibles, très névralgiques, jusqu’à celles qu’on pourrait mettre en données ouvertes. Il y a quand même un spectre qui est assez large. Alors, les données qui sont catégorisées comme très sensibles – pis là, on a estimé ça à environ 20% des données que le gouvernement du Québec possédait – seront envoyées en infonuagique privée. Le terme peut sembler paradoxal parce que par privé j’entends l’infonuagique gouvernementale donc c’est le gouvernement du Québec qui va en être le fiduciaire. »

« Les autres données qui sont moins critiques peuvent aller en infonuagique publique, donc les fournisseurs d’infonuagique qui se qualifieront auprès du gouvernement du Québec et même là, par entente contractuelle, on va s’assurer que ces entreprises-là, si elles hébergent les données au Québec, au Canada ou en Europe, sont sous le coup d’une loi de protection des données et des renseignements personnels qui est équivalente ou, même dans certains cas, supérieure à notre loi à nous et si ce n’est pas le cas, par exemple pensons aux États-Unis (on va nommer les choses par leur nom) par entente contractuelle, on peut arriver à donner un niveau de protection à nos données qui serait équivalent à notre loi d’accès à l’information. »

« Donc, contractuellement, on va faire ce que les lois américaines ne feraient peut-être pas. Et, finalement, si je peux me permettre, on va évidemment forcer le fait que les données soient encryptées et que le seul détenteur de la clé de désencryptions soit le propriétaire des données, soit le ministère et/ou l’organisme qui va signer l’entente contractuelle avec les fournisseurs de services. Si bien que, si au bout de tout ça quelqu’un avait vraiment envie d’aller prendre ces données-là dont l’intérêt pourrait être discutables, mais elles seraient inintelligibles parce qu’encryptées. »

(L’entrevue complète se trouve ici)

En clair, cela signifie que le Secrétariat du conseil du trésor du Québec, de qui relève le ministre délégué à la transformation numérique, s’alignera sur les pratiques déjà initiées par le gouvernement du Canada dans ce domaine. Ce qui est sans doute une très bonne nouvelle.

A titre de rappel, le gouvernement canadien a présenté sa stratégie en matière d’hébergement numérique en 2017. On peut la consulter ici:  Stratégie d’adoption de l’informatique en nuage du gouvernement du Canada.

Voici d’ailleurs la définition de la catégorisation de sécurité présentée dans ce document:

Qu’est-ce que la catégorisation de la sécurité?

« La catégorisation de la sécurité est le processus qui consiste à attribuer une catégorie de sécurité aux ressources, aux biens ou aux services d’information en fonction du degré de préjudice que l’on peut raisonnablement s’attendre à subir en raison de la compromission de ces ressources, biens ou services.

L’information est identifiée et catégorisée en fonction du degré de préjudice qui pourrait résulter de la compromission de sa confidentialité, de sa disponibilité ou de son intégrité. »

Plus que 2 semaines…

Nous voilà à mi-chemin de la course électorale. Avec 3 des 4 principaux partis politiques qui comptent au moins un poids lourd du numérique dans ses rangs, on aurait pu s’attendre que le thème soit plus développé qu’aux élections précédentes. Malheureusement, on ne peut pas dire que les partis ont fait preuve d’audace, de créativité et de maturité. Bien au contraire.

Le PQ est sans doute, de tous les partis, celui qui s’est le plus avancé dans une réflexion sur le numérique avec sa volonté de brancher tout le Québec à la fibre optique, de s’inspirer de l’expérience estonienne pour revoir le système d’identification numérique des citoyens utilisé par l’État, et d’utiliser des applications de maillage pour favoriser le covoiturage et la mobilité urbaine. Les autres se sont montrés relativement discrets. Oui, de la connexion par ici, des infrastructures numériques de soutien à la création culturelle par là; il y a aussi des intentions de bien percevoir les taxes de vente en ligne. Mais peu de vision d’ensemble bien articulée. Du moins publiquement.

Même le débat à l’AQT ne nous a pas permis d’en connaître plus sur les intentions de chacun des partis, le contenu de cette rencontre n’ayant pas été partagée. Les médias n’en ont pas fait écho, non plus.

Nous n’avons plus que deux semaines pour en connaître plus sur les partis, sur leurs intentions et SURTOUT sur leur vison numérique. Car nous savons tous que chaque parti à sa propre vision du rôle du numérique dans l’avenir du Québec.

Voilà quelques semaines Clément Laberge, Martine Rioux et moi avions — spontanément, chacun de notre côté — proposé quelques questions que nous aimerions poser aux partis politiques au sujet de cette vision. La démarche s’est poursuivie. Nous avons produit ensemble une courte liste de questions que nous avons remise au porte-parole des 4 principaux partis sur la question. 

Au cours des prochains jours, nous publierons les questions transmises. Par la suite, nous partagerons les réponses reçues. Nous inviterons la communauté numérique à partager et discuter largement autour de ce projet. Et, espérons-le sans cynisme ni de désillusion.

Stay tuned!

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Photo by NeONBRAND on Unsplash

Les épouvantails analogiques

L’immigrant est toujours là prêt à surgir pour faire basculer le calme des élections. Pour donner un petit coup à droite, un petit coup à gauche. Mais surtout à droite. L’immigrant est un outil internationalement connu pour détourner le regard de l’électeur.  L’immigrant est une valeur sûre durant une élection. En fait, on devrait plutôt dire que c’est une menace sure.

L’immigrant porte en lui le gène de la menace. Menace pour l’équilibre précaire de nos économies (même en situation de pénurie de main-d’oeuvre), menace pour nos identités nationales et  culturelles, menace pour nos institutions et bien sûr pour nos traditions religieuses. La culture, la langue, l’histoire ne doivent pas être bousculées; juste bougées tranquillement, tout petit peu par tout petit peu.

Source – Influence communication –  8 septembre 2018

À côté de l’immigrant, il y a ces plateformes numériques qui colonisent nos économies occidentales, nos cultures, à grands coups de capitaux. Ils défrichent leur nouveau territoire. Ils ouvrent de nouvelles places marchandes lucratives, de nouveaux centres de diffusion musicale et cinématographique, de nouvelles places publiques pour entretenir nos amitiés. Dès lors qu’on met les doigts sur le clavier de l’ordinateur, nous parcourons le monde. Nous avons tous plus d’amis à l’étranger que n’en ont jamais eu tous nos ancêtres réunis. On s’amuse à acheter hors-taxe pour sauver quelques sous. On streame à plus que veux-tu. Notre perception des frontières, et des lois qui leur sont propres s’effritent. Notre identité culturelle est plus métissée que jamais.

Mais là, il n’y a pas de menace. Ou si peu. Mais tout cela est flou, c’est de l’intangible, c’est de l’indicible. Bref, c’est du numérique. Et le numérique, c’est l’avenir. C’est la jeunesse. Et il ne faudrait pas s’aliéner cette clientèle électorale.

L’immigrant lui, c’est du tangible, on peut voir concrètement la menace, c’est de l’analogique. Un épouvantail analogique qu’il est toujours facile de sortir durant les élections. Et un épouvantail, c’est connu ça fait peur.


Photo by Vidar Nordli-Mathisen on Unsplash

Google a 20 ans!

Déjà 20 ans que Google a commencé son aventure. De petit moteur de recherche prometteur issu de travaux universitaires, à micro-entreprise ambitieuse prête à en découdre avec les dizaines de moteurs de recherche en vogue à l’époque, et finalement multinationale qui dirige maintenant la majeure partie de la circulation Web. Son histoire est à l’image de ce qu’est devenu Internet aujourd’hui.

J’ai eu l’occasion de participer au dossier spécial de La Presse+ sur les 20 ans de Google en accordant une entrevue au journaliste Jean-François Codère. De la longue conversation que nous avons eue, JFC retient, entre autres, cette citation : « Comme utilisateur, j’adore Google, ma vie me paraît facilitée (…) mais comme observateur du Web, depuis longtemps, j’ai des réserves. »

Le Web, Internet, le numérique ont beaucoup changé depuis 20 ans. Ils ont beaucoup changé le monde aussi. En fait, ils l’ont refaçonné.

Le rôle et la nature des moteurs de recherche ont considérablement évolué depuis le début d’Internet. À cette époque, leur rôle était de rendre visible ce qui ne l’était pas; il devait rendre intelligible ce qui s’apparentait à un vaste magma de documents Web.

À l’instar d’une bibliothèque qui classe les livres et qui nous donne les outils pour les (re)trouver, les moteurs de recherche, les guides et les annuaires Web guidaient les internautes pour qu’ils développent leurs intérêts et trouvent les infos liées à ceux-ci. Mieux même, ils éduquaient toute une génération d’internautes à se retrouver dans un monde entièrement numérique; ils faisaient œuvre de pivot culturel.

Google dès son arrivée ne guidait déjà plus; lui, il trouvait. Avec son algorithme différent, il rendait plus simple, plus précise et plus pertinente la simple recherche par mots-clés et dévaluait l’apport de la navigation par annuaires et guides. Pour reprendre l’image de la bibliothèque, c’est comme si le préposé vous offrait un livre ouvert à la bonne page qui contient l’information souhaitée, sans avoir à vous rendre parmi les rayons de livres ni même consulter le reste du livre. Google a changé les choses. Il a changé le Web.

Depuis, Google a avalé le Web, l’humain est devenu un document comme les autres et les objets connectés fournissent toujours plus d’informations pour baliser notre réel. Google ne guide pas plus, mais il trouve toujours plus. Aujourd’hui, il donne la réponse sans même vous donner la peine d’aller consulter un site Web. Tu cherches une recette : tu tapes « spaghetti aux crevettes » et Google t’affichera une recette au-dessus de tous les autres résultats; plus besoin d’aller voir Ricardo ou di Stasio si Google te donne l’info complète. Tu cherches la bio d’un personnage célèbre et tout-à-coup une mise en page adaptée à une bio apparaît devançant tous les autres résultats venant du Web. Il te répond comme te répondrait un assistant qui travaille pour toi. En fait, c’est exactement ça: le moteur de recherche est mort, vive l’assistant!

Google vise dorénavant à te donner LA réponse; LA réponse unique que tu cherches; les autres résultats (le Web) sont là pour compléter. Le Web est de plus en plus optionnel. Google conduit de moins en moins, vers le Web. Le Web est la nourriture donnée à Google pour te donner LA bonne réponse. Google indexe, fouille, digère et il t’offre ce qu’il en a compris pour toi, en fonction de ce qu’il a compris de ce que tu cherchais, en fonction de ce qu’il comprend de toi. Google ne fait pas qu’avaler le Web, il le masque aussi de plus en plus.

Et c’est là que je suis inquiet. Je suis un utilisateur assidu du Google. C’est mon signet universel; c’est mon dictionnaire unique; c’est la porte d’entrée de mes divertissements;. Google, c’est plusieurs fois par jour, sur l’ordi comme sur le téléphone. Même pour mes News, dont il me prépare un bouquet de l’essentiel de l’actualité, chaque jour, à ne pas manquer. Bientôt, il prendra même mes rendez-vous. Google sera mon majordome indispensable. Je passe rarement une heure sans que mon clavier ne le sollicite. Je l’aime, il m’est indispensable, et je l’utilise abondamment..

Mais je reste méfiant de ce moteur qui n’en est plus un. J’ai des craintes face à l’avenir que nous prépare un assistant qui a le monopole de la recherche Web; un assistant qui a le monopole de la vérité, de SA vérité qu’il veut bien me fabriquer. Je suis méfiant face à un outil aussi indispensable (partout sur la planète) qui a construit son succès sur un algorithme qui calcule la pertinence en fonction de critères de popularité. Je reste méfiant de voir que l’accès à ce vaste réservoir d’information et de connaissance qu’est le web, est filtré par un algorithme complètement verrouillé, sur lequel aucune autorité légale, scientifique ou politique n’a droit de regard et qui ne répond en bout de ligne qu’à de simples impératifs commerciaux (et à un conseil d’administration dont la première tâche sera de défendre la valeur de l’actif des actionnaires). Je reste méfiant face à cet outil dont le modèle d’affaires est construit sur le principe qu’annonceurs et experts marketing pourront jouer à cache-cache avec l’algorithme pour augmenter la visibilité de certains contenus indexés au détriment d’autres contenus moins bien soutenus financièrement. Notre monde, nos choix, les informations, la connaissance sont chaque jour plus dépendant d’un outil totalement privé, fermé, sans contrôle ni régulation externe. Oui, cela me rend vraiment très méfiant.

J’ai plein de réserves face à Google, mais j’aime Google et je l’utiliserai longtemps encore. Du moins, jusqu’au jour où un index indépendant verra enfin le jour. Mais ce n’est vraiment pas demain la veille.

Bon 20e à mon moteur de recherche  mon assistant préféré!



Photo par Google

Le PQ, la CAQ, Tinder et l’administration publique

J’attends le jour où les porte-paroles des principaux partis s’affronteront sur ce thème majeur : « comment rebooter l’administration publique »; où chacun défendra sa version de la réforme de l’État. J’imagine QS défendre les principes de l’État-Lab; le PQ, les mérites de l’État-Plateforme; le PLQ, la nécessité de poursuivre la transformation numérique entamée au cours des dernières années; la CAQ, qu’il faut rationner les dépenses TI et mieux gérer les contrats pour en finir avec le « bordel informatique ». Et chacun et chacune y allant de ses priorités numériques et de sa compréhension des défis. On est encore loin de cet affrontement qui risque de rester à l’état de fantasmes.

Pour se faire une tête de ce que prévoient nos partis, il nous faudra donc nous contenter du dévoilement goutte à goutte des programmes et des mesures que les partis prévoient de mettre en place. Nous n’en sommes qu’aux premières cases de ce calendrier de l’Avent électoral, mais quelques éléments nous donnent déjà une image impressionniste de ce que les partis mijotent pour l’administration publique.


Le PQ

Lundi, le PQ a dévoilé des mesures ambitieuses de soutien au covoiturage. Changer les habitudes de déplacement pour réduire notre impact écologique. Le parti cherche à faire passer le taux d’occupation des voitures aux heures de pointe de 1,2 à 1,4. Moins de voitures en solitaire et plus de partage. Sans doute une excellente mesure écologique, sociale et de mobilité. Et la techno, le numérique dans tout cela, me direz-vous! Voilà, j’y arrive.

Plutôt que d’en rester à la description de cette mesure qui dépeint leur ambition environnementale, le PQ s’est cru obligé d’y ajouter un volet techno. En fait, ce volet est important, car voilà une action de mobilité qui ne peut se réaliser qu’au moyen d’un support technologique. Le covoiturage sécuritaire et contrôlé ne peut se faire qu’au moyen d’une gestion rapide des personnes inscrites et l’analyse des itinéraires soumis par les participants (les conducteurs comme les passagers). Un système de maillage comme il y en a des tonnes dans différents secteurs, par exemple comme le sont Airbnb et Uber.

Ce projet simple illustre ce que le PQ veut faire du numérique: offrir à l’administration publique l’option de développer de nouvelles initiatives. L’innovation au service de l’innovation. Et à impact économique, écologique et social positif. Ce qui est bien.

Mais il a bien sûr fallu que MM. Lisée et Breton s’enlisent dans la techno. D’abord en qualifiant l’application technologique de « Tinder du covoiturage ». Quoi de mieux pour détourner l’attention de tous sur l’application alors qu’il voulait présenter une solution de mobilité, en plus de lui donner une texture franchement caricaturale.

Vous connaissez cette loi de la nature qui dit que les médias fouilleront toujours où ça grince. Et bien là, ça grinçait beaucoup. Il a donc fallu que MM. Lisée et Breton répondent à des questions sur le rôle de cette appli,  en se fourvoyant littéralement à propos de la portée de celle-ci, sur le rôle des partenaires, voire même sur le rôle du gouvernement dans le développement du volet technique. Tout à coup, le gouvernement devenait le lead techno et le concepteur de l’application. De projet écolo-mobilité, on venait de passer à un projet technologique. L’art de faire déraper.

À la fin de la présentation, certains des partenaires pressentis pour participer se sont sentis obligés de rectifier pour dire que: non, c’est pas exactement comme ça devrait se passer.

Notons que la startup de covoiturage Netlift avait déjà présenté la quasi-entièreté de ce projet, avec sensiblement des chiffres équivalents, voilà 6 mois dans le cadre du Forum Startup Innovation. Bien sûr, le PQ n’a pas indiqué l’apport de Netlift dans le projet; ni qu’il endossait le projet initial de Netlift et leurs estimations. Ce qui est bien dommage. Le cafouillage laissait plutôt penser que l’administration publique venait prendre la place des joueurs déjà sur le terrain.

Le cafouillage ne s’est pas arrêté là. Ils ont même réussi à confondre l’application de maillage (genre Netflix) avec une autre plateforme pour unifier l’ensemble des applications technologiques de mobilité urbaine (STM, Taxi, Netlift, Bixi, autopartage, etc.). Cette application est en gestation sous l’égide de la STM qui aimerait bien simplifier la vie des usagers en leur permettant de gérer à un seul endroit tous leurs comptes liés au déplacement. Un autre projet que le PQ, partisan des plateformes numériques endosserait. Le projet de la STM s’appelle Céleste. Le rendu du PQ lors de la conférence de presse était loin d’être céleste.

En fait, ce que le PQ a réussi à montrer, c’est que oui, le parti croit à de nouvelles pratiques qui peuvent naître grâce au numérique; oui  les plateformes pourront les aider dans leur projet; mais non, ce n’est vraiment pas clair pour eux comment celles-ci fonctionnent ni quel est le rôle de l’administration publique dans ce type d’initiative.

On verra bien au cours des prochains jours si la présentation des volets techno de leur projet sera mieux contrôlée.  Mais là, on sentait plus d’opportunisme de la part du PQ qu’un réel sens de l’innovation.


La CAQ

Mardi, la CAQ aura montré que ce n’est pas d’eux que viendra le virage numérique de l’État. On s’y attendait. Là, maintenant, c’est plus clair.

Pour « améliorer » l’administration publique, la CAQ compte réduire les coûts de l’administration publique. On économisera donc en misant sur l’attrition, sur les services informatiques, sur les acquisitions et bien sûr la numérisation des services administratifs qui se fera dans une optique d’économie. Bref, la CAQ le parti du changement, nous propose l’approche dépenser moins et dépenser mieux que plusieurs nous ont servie depuis 20 ans. Comme si le défi de l’administration publique consistait à trouver les bons gestionnaires, comme si l’élection devait se résumer par ce slogan: nous sommes de meilleurs gestionnaires, nous ferons mieux que les autres. Il me semble qu’on l’a souvent vu ce film.

Si certains espéraient encore que l’administration publique soit revue, corrigée et modernisée par la CAQ en instaurant de nouveaux modèles organisationnels et de nouvelles pratiques soutenus par le numérique, vous serez déçus. Ce ne sera pas pour cette fois. La CAQ s’en tiendra aux préceptes de la rigueur managériale, même si cette recette, mise de l’avant par tous les partis, ne semble jamais atteindre ses objectifs puisqu’on y revient toujours.

De toute façon, ce ne sera pas une grande surprise que la CAQ ne se positionne pas comme le leader de l’innovation et du redesign de l’appareil gouvernemental. Ce scénario n’a jamais fait partie de son discours officiel; ils ont toujours privilégié une approche comptable.

Je garde néanmoins en tête que la campagne est loin d’être terminée. Les partis nous réservent peut-être de nouvelles surprises. Alors, stay tuned. Qui sait?