Le PQ, la CAQ, Tinder et l’administration publique

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J’attends le jour où les porte-paroles des principaux partis s’affronteront sur ce thème majeur : « comment rebooter l’administration publique »; où chacun défendra sa version de la réforme de l’État. J’imagine QS défendre les principes de l’État-Lab; le PQ, les mérites de l’État-Plateforme; le PLQ, la nécessité de poursuivre la transformation numérique entamée au cours des dernières années; la CAQ, qu’il faut rationner les dépenses TI et mieux gérer les contrats pour en finir avec le « bordel informatique ». Et chacun et chacune y allant de ses priorités numériques et de sa compréhension des défis. On est encore loin de cet affrontement qui risque de rester à l’état de fantasmes.

Pour se faire une tête de ce que prévoient nos partis, il nous faudra donc nous contenter du dévoilement goutte à goutte des programmes et des mesures que les partis prévoient de mettre en place. Nous n’en sommes qu’aux premières cases de ce calendrier de l’Avent électoral, mais quelques éléments nous donnent déjà une image impressionniste de ce que les partis mijotent pour l’administration publique.


Le PQ

Lundi, le PQ a dévoilé des mesures ambitieuses de soutien au covoiturage. Changer les habitudes de déplacement pour réduire notre impact écologique. Le parti cherche à faire passer le taux d’occupation des voitures aux heures de pointe de 1,2 à 1,4. Moins de voitures en solitaire et plus de partage. Sans doute une excellente mesure écologique, sociale et de mobilité. Et la techno, le numérique dans tout cela, me direz-vous! Voilà, j’y arrive.

Plutôt que d’en rester à la description de cette mesure qui dépeint leur ambition environnementale, le PQ s’est cru obligé d’y ajouter un volet techno. En fait, ce volet est important, car voilà une action de mobilité qui ne peut se réaliser qu’au moyen d’un support technologique. Le covoiturage sécuritaire et contrôlé ne peut se faire qu’au moyen d’une gestion rapide des personnes inscrites et l’analyse des itinéraires soumis par les participants (les conducteurs comme les passagers). Un système de maillage comme il y en a des tonnes dans différents secteurs, par exemple comme le sont Airbnb et Uber.

Ce projet simple illustre ce que le PQ veut faire du numérique: offrir à l’administration publique l’option de développer de nouvelles initiatives. L’innovation au service de l’innovation. Et à impact économique, écologique et social positif. Ce qui est bien.

Mais il a bien sûr fallu que MM. Lisée et Breton s’enlisent dans la techno. D’abord en qualifiant l’application technologique de « Tinder du covoiturage ». Quoi de mieux pour détourner l’attention de tous sur l’application alors qu’il voulait présenter une solution de mobilité, en plus de lui donner une texture franchement caricaturale.

Vous connaissez cette loi de la nature qui dit que les médias fouilleront toujours où ça grince. Et bien là, ça grinçait beaucoup. Il a donc fallu que MM. Lisée et Breton répondent à des questions sur le rôle de cette appli,  en se fourvoyant littéralement à propos de la portée de celle-ci, sur le rôle des partenaires, voire même sur le rôle du gouvernement dans le développement du volet technique. Tout à coup, le gouvernement devenait le lead techno et le concepteur de l’application. De projet écolo-mobilité, on venait de passer à un projet technologique. L’art de faire déraper.

À la fin de la présentation, certains des partenaires pressentis pour participer se sont sentis obligés de rectifier pour dire que: non, c’est pas exactement comme ça devrait se passer.

Notons que la startup de covoiturage Netlift avait déjà présenté la quasi-entièreté de ce projet, avec sensiblement des chiffres équivalents, voilà 6 mois dans le cadre du Forum Startup Innovation. Bien sûr, le PQ n’a pas indiqué l’apport de Netlift dans le projet; ni qu’il endossait le projet initial de Netlift et leurs estimations. Ce qui est bien dommage. Le cafouillage laissait plutôt penser que l’administration publique venait prendre la place des joueurs déjà sur le terrain.

Le cafouillage ne s’est pas arrêté là. Ils ont même réussi à confondre l’application de maillage (genre Netflix) avec une autre plateforme pour unifier l’ensemble des applications technologiques de mobilité urbaine (STM, Taxi, Netlift, Bixi, autopartage, etc.). Cette application est en gestation sous l’égide de la STM qui aimerait bien simplifier la vie des usagers en leur permettant de gérer à un seul endroit tous leurs comptes liés au déplacement. Un autre projet que le PQ, partisan des plateformes numériques endosserait. Le projet de la STM s’appelle Céleste. Le rendu du PQ lors de la conférence de presse était loin d’être céleste.

En fait, ce que le PQ a réussi à montrer, c’est que oui, le parti croit à de nouvelles pratiques qui peuvent naître grâce au numérique; oui  les plateformes pourront les aider dans leur projet; mais non, ce n’est vraiment pas clair pour eux comment celles-ci fonctionnent ni quel est le rôle de l’administration publique dans ce type d’initiative.

On verra bien au cours des prochains jours si la présentation des volets techno de leur projet sera mieux contrôlée.  Mais là, on sentait plus d’opportunisme de la part du PQ qu’un réel sens de l’innovation.


La CAQ

Mardi, la CAQ aura montré que ce n’est pas d’eux que viendra le virage numérique de l’État. On s’y attendait. Là, maintenant, c’est plus clair.

Pour « améliorer » l’administration publique, la CAQ compte réduire les coûts de l’administration publique. On économisera donc en misant sur l’attrition, sur les services informatiques, sur les acquisitions et bien sûr la numérisation des services administratifs qui se fera dans une optique d’économie. Bref, la CAQ le parti du changement, nous propose l’approche dépenser moins et dépenser mieux que plusieurs nous ont servie depuis 20 ans. Comme si le défi de l’administration publique consistait à trouver les bons gestionnaires, comme si l’élection devait se résumer par ce slogan: nous sommes de meilleurs gestionnaires, nous ferons mieux que les autres. Il me semble qu’on l’a souvent vu ce film.

Si certains espéraient encore que l’administration publique soit revue, corrigée et modernisée par la CAQ en instaurant de nouveaux modèles organisationnels et de nouvelles pratiques soutenus par le numérique, vous serez déçus. Ce ne sera pas pour cette fois. La CAQ s’en tiendra aux préceptes de la rigueur managériale, même si cette recette, mise de l’avant par tous les partis, ne semble jamais atteindre ses objectifs puisqu’on y revient toujours.

De toute façon, ce ne sera pas une grande surprise que la CAQ ne se positionne pas comme le leader de l’innovation et du redesign de l’appareil gouvernemental. Ce scénario n’a jamais fait partie de son discours officiel; ils ont toujours privilégié une approche comptable.

Je garde néanmoins en tête que la campagne est loin d’être terminée. Les partis nous réservent peut-être de nouvelles surprises. Alors, stay tuned. Qui sait?

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